DÉPÔT ROUTIER : DANGEROOTS

Despo Rutti, l'homme qui roule les R à la zaïroise, revient avec un nouvel album mitraillette : Convictions Suicidaires. Entretien qui parle de tout de rien, des bananes d'Obama, des cainfres, des renois, de la critique et des despérados.

Première question, pourquoi Despo Rutti ? Entre nous on t'appelle Dépôt Routier depuis « Bolides ».

(Rires) On me l'avait jamais faite celle-là. On m'a déjà appelé Despo Gucci, Despo Cerutti... Mais pas comme ça. En fait Despo, ça vient de Déspé, Déspérado, parce que j'avais fait un coma éthylique, vers mes 17 ans. J'avais bu... et la bouteille que j'avais à la main quand on m'a retrouvé c'était une Déspé. Mais Déspé ça sonnait pas... c'était pas frappant, alors j'ai mis le « O », Despo, pour le côté sombre, Despo, parce que finalement Despote, parce que quand j'étais sur le terrain de basket, je gueulais toujours « le match est pas fini, allez, relève-toi, ça joue là ».

Et Rutti, Cerutti, le côté plus joyeux, plus vivant, pas sombre. Parce que finalement j'suis humain.

Et puis, Rutti, ça se transforme en Roots aussi...

Ouais les racines, c'est toujours là...

J'ai lu aussi dans ta bio, et je trouve que ça ne colle pas avec ce que tu fais, que ton rap est du rap conscient... D'après moi, c'est plus humaniste et critique, que conscient, avec la manière dont tu déconstruis le discours rap habituel. Quand tu dis « On respecte juste l'humain avant de respecter la loi... », par exemple.

C'est du rap inconscient que je fais. Du rap inconscient. Je dis les choses comme je les vois. Attention, j'impose pas ma vision des choses, mais on peut discuter, débattre. D'ailleurs je dis « j'aime la critique, car elle-même est critiquable. »

Tu es très critique envers les gens finalement ?

Mais sans jamais m'imposer. Mais quand je dis « je crois en un être supérieur, si lui m'autorise à continuer à vivre dans l'erreur, quand les croyants me le reproche, ils se mettent au dessus de Dieu », il faut être de très mauvaise foi, pour dire que c'est faux.

Tu représentes les tiens en disant « j'rappe pour les pauvres avant la Porsche » et en même temps tu es contradictoire, quand tu dis « j'demande un permis de construire au Père Lachaise vu que les vivants me font chier.»

Tu sais, moi j'suis profondément solitaire. Ce que je dis, c'est ce que je pense, je ne représente que moi-même, mais ça ne m'empêche pas de dire ce que je vis et ce que je vois.

Tu es très critique contre les renois. Tu dis même « Obama, pour moi c'est une banane y'a qu'un singe lobotomisé pour chialer devant ce faux symbole. »

J'dis Obama c'est pas l'président des renois, c'est le président des américains, des noirs américains, des hispaniques, des blancs du Texas, ceux qui pendent les renois. Tu vois c'que j'veux dire. Pas le président du banlieusard du 93 qui cherche un travail, il peut rien faire pour lui là.

Oui tu critiques ce truc des cainfres qui croient que tous les renois doivent être unis. « Si les cainfres étaient solidaires Sony BMG aurait remis le disque de platine à Mokobé »

C'est exactement ce que je dis dans mes raps ! Mais après est-ce que c'est une raison pour arrêter de se plaindre, mais sur le fond de mon discours c'est ça, je rapporte tout à l'humain. C'est pas un bout de bois, c'est comme ça. C'est des dominants, quand tu regardes une horde de loups, le dominant il met à l'amende tout le monde. Jusqu'à ce qu'il y ait une nouvelle race de loup, qui chasse les autres, qui récupère les femelles. Après on trouvera toujours le moyen de se plaindre. Tant qu'y'aura des gens qui seront pas totalement satisfaits de leur vie et de la manière dont elle est dirigée, comme ça a été le cas avant avec le système royaliste...

D'ailleurs tu dis un truc : « Sans dictateur ni colon, on redeviendrait cannibale... », tu le crois vraiment ?

Nan, nan, « à croire que... », à croire que... si tu mets 400 personnes qui ont les mêmes idées ensemble, juste 400, déjà ça va se tirer dessus pour savoir qui est le chef, qui va avoir quoi sur la recette au final... Mets en un million, dix millions... Il faut un chef qui soit dur avec les autres, voire très injuste... C'est la loi de la nature.

Explique moi ce que c'est qu'être Soldat sans grade ?

C'est le nom du label indépendant sur lequel je suis signé. Le nom je le reprends souvent parce qu'il définit mon état d'esprit, j'peux faire des choses biens comme pas biens dans la vie, et j'veux pas être gradé pour ça. Je fais pas les choses pour la gloire.

T'as des prods assez homogènes sur l'album. Tu dis « t'as le flow à Mobutu sur une prod South » Est-ce que c'est pas des instrus South finalement ?

Le flow à Mobutu (Rires)

T'as le flow à Mobutu, tu roules les R.

La plupart des jeunes d'origine africaine se débarrassent de leur accent. Moi je pense, que y'a une richesse dans la double culture. Et que j'suis plus habillé comme un français que comme un Zaïrois de la forêt équatoriale ou un Zaïrois de Kinshasa. C'est une réalité, tu vois. J'ai pris aussi du côté européen, et je m'exprime en français, et j'pense que l'accent c'est une petite personnalisation.

Et les prods alors, elles sont South ?

South non pas trop sur cet album. Je dirai qu'une instru comme « l'oeil au beurre noir » tu peux pas la classer, ça pourrait être de la variété mondiale, si tu mets une meuf dessus.

D'ailleurs Nessbeal c'est le seul feat.

J'revenais d'une longue période de collaborations, et là c'est un album avec un esprit un peu à l'ancienne.

Et dans le morceau « Miettes d'Espoir », tu fais référence à Teemour (« Ecoute ce refrain, retiens le bien, les choses vont mal, ça n'ira pas mieux demain. »)

1996, la première compile de rap français que j'ai comprise. Avant, peut-être que j'étais pas prêt, là ça m'a parlé direct. C'est aussi Despo. Parce que quand on parle « Hostile » on entend Lunatic, X-men, tout de suite, mais ya aussi d'autres morceaux. C'est la petite référence pour dire « j'ai pas vu que B2O, Ali... » Même si ce que faisait Time Bomb c'était plus l'image du rap hardcore que j'avais. Y'avait aussi d'autres choses que j'étais capable d'apprécier.

Et aujourd'hui t'aimes quoi dans le rap ?

Nessbeal, je le trouve vraiment fort, l'écriture, l'interprétation, ses prises de voix. Voir Nessbeal en cabine c'est juste un film. Booba aussi, j'aime ce qu'il fait, il prend des risques, il tire le rap vers le haut. F.A.B., il est mis en avant, il est de Noisy le grand, du pavé 9, j'ai des morceaux de lui, j'lui ai passé des instrus, il est fort de fou. Nessbeal je savais déjà, Lino je sais déjà, McTyer je sais, Tandem je sais. Maintenant F.A.B., quand j'l'ai connu il avait 21 piges, il avait déjà une façon de concevoir ses titres, d'un mec qui est prêt. Travaillé. Le flow, parfois ça chantonne un peu, la voix elle tremble un peu, il a le punch. Il arrive à me faire sourire ou me faire péter un plomb sur une punchline, tu vois c'que j'veux dire. Il est dangeroots.

On va finir par le foot, surtout qu'hier l'OM a gagné. Et toi t'es pro PSG...

On a la coupe, mais franchement ça me satisfait pas. On dirait que c'est Delanoé qui l'a négocié.

Je comprends pas pourquoi les parisiens supportent l'OM

C'est des lâches, ils vont vers la facilité. Dans la victoire, dans la défaite, c'est ta ville, Paris. Et dès que Marseille flaire un peu, ils vont acheter un maillot de l'Inter ou de Manchester. Les mecs ils supportent Manchester, Barça. Ben ouais...

Moi je supporte Paris, l'Inter, et après l'Etoile Rouge de Belgrade.

Ah mais t'es Serbe ? Tu connais le morceau « Roodster » sur la compile Cosa Nostra ? J'dis dedans « Le sang coule dans les équipes comme des litres de larme, quand des frères nous quittent, et si on s'était trompé en vrai, et si le respect s'payait en liquide. Tu crois avoir de grosses couilles, être un chaud, jusqu'à c'que tu tombes sur un yougo, regard glacé, prêt à te refroidir, tu vas passer des coups d'fil pour aller discrètement t'excuser. Les testicules rétrécissent quand la température ambiante chute cousin, c'est scientifiquement prouvé. » J'parle des Serbes, des yougos dedans, tu vois !

On était sur le foot c'est ça ? Le PSG, moi j'suis pas satisfait, ils ont été chercher un trophée de plus, Hoarau était là où il fallait être. Félicitations aux joueurs d'avoir gagné le match, mais peut-être qu'ils sont pas dans les meilleures dispositions. Après ça reste peut-être un club show-biz, les jeunes joueurs là, vendez moi ça. Ramenez nous des brésiliens. J'aurai préféré qu'ils gardent Ibisevic. Mais pas Yannick Boli, j'le sentais pas, il avait un truc bizarre. (Rires). Il a fait glisser.



nemanja, jeudi 13 mai 2010 |